Par un communiqué lu à la Télévision Tchadienne ce mardi 20 avril 2021, le porte-parole de l’armée tchadienne, le Général Azem Bermandoa Agouna a annoncé la mort du Maréchal Idriss Deby Itno, Président du Tchad depuis 30 ans.
Ce porte-parole a déclaré, par la même occasion, que l’un des fils du défunt Président Idriss Deby Itno, « Général quatre étoiles à 37 ans et commandant de la garde présidentielle, Mahamat Idriss Déby Itno , dirigera un conseil militaire chargé de remplacer le défunt président ».
Cette annonce représente un COUP D’ETAT CONSTITUTIONNEL pour deux raisons au moins :
- LA LETTRE DE LA CONSTITUTION :
Au titre de l’article 81 du Constitution tchadienne du 4 mai 2018 instaurant la 4ème République, « En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement définitif constaté par la Cour Suprême saisie par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, les attributions du Président de la République, à l’exception des pouvoirs prévus aux articles 85, 88, 95 et 96 sont provisoirement exercées par le Président de l’Assemblée Nationale et, en cas d’empêchement de ce dernier, par le 1er Vice- président
Dans tous les cas, il est procédé à de nouvelles élections présidentielles quarante-cinq (45) jours au moins et quatre-vingt-dix (90) jours au plus, après l’ouverture de la vacance ».
Cette disposition est ainsi suffisamment claire pour se rendre compte que le Président de l’Assemblée nationale représente l’autorité investie du pouvoir constitutionnel d’assurer l’intérim dans les 90 jours ou plus à compter de la constatation de la vacance. Ainsi, le fils du Président ne bénéficie d’aucun fondement constitutionnel pour succéder à son père ; le régime n’étant pas monarchique. En outre, l’institution militaire est apolitique. Car, au titre de l’article 186 de la Constitution tchadienne, les forces de défense et de sécurité sont apolitiques (art. 187 C° tchadienne). Elles sont ainsi soumises à la légalité républicaine (art. 186 C°). Il en résulte qu’en s’octroyant un pouvoir qu’elles n’ont pas et, au surplus, en imposant une autorité différente de celle constitutionnellement désignée, non seulement elles usurpent un pouvoir politique dont elles ne sont pas investies, mais elles organisent et défendent un coup d’Etat.
Cette conclusion est confortée par l’esprit de la Constitution.
- L’ESPRIT DE LA CONSTITUTION
Le Préambule de la Constitution tchadienne qui reprend les références fondamentales de la Constitution de 1996 (réformes de 2005, 2013) ayant institué la 3ème République, rappelle que :
« Des années de dictature et de parti unique ont empêché l’éclosion de toute culture démocratique et de pluralisme politique (…). Les différents régimes qui se sont succédés ont entretenu (…) le tribalisme, le népotisme, les inégalités sociales, le régionalisme (…) dont les conséquences ont été la GUERRE (…) pendant plus de 4 décennies (plus de 40 ans). Ainsi, la Conférence Nationale Souveraine tenue à N’Djamena du 15 janvier au 7 avril 1993 a redonné confiance au Peuple Tchadien et a permis l’avènement d’une ère nouvelle ».
Il résulte des éléments de ce préambule que le peuple tchadien a d’abord conscience de ce que la confiscation du pouvoir et la mauvaise gouvernance ont été les faits générateurs de la longue guerre qu’il a vécue, au-delà des instabilités récurrentes postérieures déterminées par les mêmes raisons.
La recherche de la stabilité – dans ce contexte de défiance du régime (avant même la mort du Président Deby Itno) devrait ainsi suggérer le respect des prescriptions constitutionnelles afférentes à la dévolution du Pouvoir en faveur du Président de l’Assemblée nationale. En choisissant ainsi d’attribuer au fils du défunt président la responsabilité de la direction des affaires de l’Etat, le haut commandement de l’armée – apolitique (art.187 C° tchadienne), commet un coup d’Etat.
En réalité, si le respect des prescriptions constitutionnelles ne changerait pas grand-chose du point de vue du fonctionnement du régime – étant entendu la proximité politique et personnelle du Président défunt et du Président de l’Assemblée nationale qui représente du même coup un homme du régime – au moins, le respect des exigences constitutionnelles donnerait des raisons légitimes d’espérer que soit désamorcée la rébellion au nord dans l’attente de tractations politiques éventuellement suivies de nouvelles élections.
En ayant ainsi choisi la voie du coup d’Etat là où la confiscation du pouvoir est le fait générateur de la rébellion au nord, il ne manque pas de raison de considérer que le commandement militaire n’a pas opté pour la paix et la stabilité.
Jean Paul KOTEMBEDOUNO
Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Ecole de droit de la Sorbonne (EDS).