Recrudescence des coups d’État en Afrique de l’ouest, Achille Mbembe s’exprime: «Une démocratie durable ne prendra pas racine à coup de bazooka»
Après les putschs au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et récemment au Niger, le débat se lève dans le milieu intellectuel africain quant à l’avenir de la démocratie en Afrique de l’ouest. Au bout de trois ans, quatre coups d’État ont été perpétrés par des militaires en Afrique occidentale. Le dernier en date effectué au Niger veut être corrigé par la CEDEAO à travers une intervention militaire pour restaurer l’ordre. Seulement l’idée est rejetée par plusieurs observateurs qui craignent une crise sous régionale.
Le chercheur camerounais Achille Mbembe, interrogé sur ce sujet ce mardi 8 août 2023 par la RFI, est revenu sur l’origine de ces coups d’État, leurs raisons, les accusations portées sur la France ainsi qu’aux mesures à prendre pour éviter les prises du pouvoir par l’armée.
Dans son intervention, le professeur d’histoire et de sciences politiques souligne que ces coups de force opérés sont la suite d’un basculement issu de cycle historique qui a vu le jour après la seconde guerre mondiale.
«Les coups d’État sont l’expression d’un grand basculement de cycle historique qui avait été ouvert au lendemain de la deuxième guerre mondiale qui avait conduit à une décolonisation incomplète. Ce cycle historique il est terminé, l’Afrique est en train d’entrer dans une autre période de son histoire. Une période qui sera longue et qui entraînera d’énormes bouleversements. Qu’est-ce qu’il en sortira ? Il est très difficile pour le moment de le savoir», s’inquiète-t-il.
Pour ce chercheur, les conflits de génération trouve une raison dans ce phénomène de putsch, mais pas uniquement.
«C’est une raison fondamentale, l’imprécation des conflits de classe, des conflits de genre et des conflits de génération,le basculement démographique du continent, il fait peur bien entendu pas seulement à la France mais au reste de l’Europe . Et c’est elle qui est le fondement des politiques antimigratoires lesquelles visent à transformer le continent en une double prison. Je pense qu’il s’agit là de choix désastreux qui, sur le court terme, se payeront cash par une aggravation par ce qu’on appelle, terme paresseux à mon avis « le sentiment anti-français en Afrique »», affirme-t-il.
Si la France accusée d’être la source des problèmes auxquels sont confrontés l’Afrique francophone et que cet argument est brandit par une grande partie des africains, le chercheur camerounais trouve que ces accusations ne sont pas fondées, tout précisant que dans l’état actuel des choses, que la France n’a pas de décision à prendre même dans ses anciennes colonies à en croire le chercheur.
«Elle n’est pas fondée. Aujourd’hui la France ne décide pas du tout même pas dans ses anciennes colonies. Il faut sortir justement de cette logique « bouc émissaire » qui consiste à rejeter sur « l’étranger » la plupart de nos propres contradictions. Évidemment, il y a des choix qui ont été faits par la France au sortir de la colonisation sont avérés désastreux à cause de la place je dirais démesurée qu’occupe le complexe sécuritaro-militaire français, l’Afrique est perçue comme un continent qui présente des dangers à la fois pour lui-même et pour ses voisins européens. Ce tropisme martiale a conduit effectivement des choix politiques désastreux et qui n’ont de toute les façons profités qu’aux forces du chaos et de la prédation. Bien plus que le « chiffon rouge » russe ou chinois, ces choix sont responsables de la défaite morale, intellectuelle et politique de la France en Afrique aujourd’hui», souligne Achille Mbembe.
Par ailleurs, depuis le coup d’État au Niger, la CEDEAO a mis à la table, une décision d’intervenir militairement à Niamey pour rétablir l’ordre. Sur ce sujet, ce professeur d’histoire et de sciences politiques propose des solutions et prévient :
«La diplomatie semble avoir perdu sa place et son statut. Sur le long terme, la priorité en Afrique doit porter sur la démilitarisation. Il faut investir massivement dans la prévention des conflits, dans le renforcement des institutions de médiation, dans le dialogue civique et constitutionnel. Une démocratie durable ne prendra pas racine à coup de bazooka».
Ces observations faites sur les putschs militaire dans les pays francophones de l’Afrique, révèlent des zones d’ombre sur les motifs réels de leur survenu. Entre décision de la CEDEAO d’intervenir au Niger, solidarité des militaires au pouvoir au Mali, Burkina Faso et Guinée, accusations portées contre la France, soutien de la Russie et sanctions internationales, on se demande quelle sera l’issue de cette crise ?
Mohamed Diawara